Escorte moto lors de courses cyclistes - arrêt du TF

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Lors d'une recherche concernant un autre sujet, je suis tombé sur cet arrêt du 27 février 1987 du Tribunal Fédéral.

En substance, il parle d'un motard civil qui escortait une course cycliste traversant la ville de Morges et qui a eu un accident alors qu'il circulait sur la partie gauche de la chaussée (sens inverse) et à plus de 50 km/h. Le Tribunal Cantonal avait déjà admis que cela constituait une infraction aux règles de circulation et qu'il ne serait pas puni en raison de l'intérêt qu'il avait à enfreindre ces règles (ndlr. la sécurité des cyclistes dont il avait la charge). Le recourant demandait au TF d'annuler ce jugement parce qu'il estimait n'avoir commis aucune faute (et donc ne pas être responsable de l'accident, et donc ne pas avoir à payer les dommages). Le TF confirme le jugement du Tribunal Cantonal. Précisons que cette course cycliste était dûment autorisée par les autorités cantonales.

Ce qu'il faut comprendre:
Pour pouvoir assurer la sécurité des cyclistes, le motard était obligé, après avoir fermé une route transversale et avoir vu passer tous les coureurs devant lui, de les dépasser pour aller fermer une autre route transversale plus loin. Comme les coureurs, eux, roulent à 50 km/h ou plus, et sur toute la partie droite de la chaussée, il n'avait d'autre choix, pour mener à bien sa mission, que de dépasser la limitation de vitesse et franchir la ligne médiane. Le TF considère que le fait de tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité des cyclistes était plus important que la transgression de certaines règles de circulation (état de nécessité). Dès lors, le motard reste coupable des infractions LCR et responsable des dommages causés à l'automobiliste, mais n'est pas puni pénalement.

Quote:

Chapeau

113 IV 4

2. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 27 février 1987 dans la cause X. c. Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)

Regeste

Faits justificatifs non prévus par la loi (voir art. 32 CP). Le comportement d'un motocycliste qui commet notamment un excès de vitesse pour assurer la sécurité des participants à une course cycliste, dont il est l'accompagnateur autorisé, n'est pas illicite dans la mesure où il est justifié par les impératifs de sa mission.

Faits à partir de page 5

BGE 113 IV 4 S. 5

A.- Le dimanche 21 avril 1985, X., accompagnateur officiel d'une course cycliste, circulait au guidon de sa motocyclette à l'avenue Muret, à Morges, en direction du centre de cette ville. Alors qu'il roulait à une vitesse de 70 à 80 km/h sur la partie gauche de la chaussée mais à proximité de la ligne médiane, une voiture débouchant du chemin du Cottage a heurté l'avant de la motocyclette.

B.- Statuant le 21 juillet 1986, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par X. contre le jugement du Tribunal de police du district de Morges (rendu le 18 mars 1986) le déclarant coupable d'infractions aux art. 34 al. 1 LCR et 4a al. 1 lettre a OCR mais l'exemptant de toute peine en application de l'art. 100 ch. 1 al. 2 LCR.

C.- X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Il demande que l'arrêt du 21 juillet 1986 soit annulé et qu'aucune infraction aux dispositions de la LCR et de l'OCR ne soit retenue à sa charge.
Le Tribunal fédéral admet le pourvoi en nullité pour

Extrait des considérants:

les motifs suivants:

1. La cour cantonale a constaté souverainement que le recourant a circulé, à l'intérieur d'une localité, à une vitesse de 70 à 80 km/h à gauche de la ligne médiane. En agissant de la sorte, il ne s'est conformé ni à l'art. 4a al. 1 lettre a OCR (limitant à 50 km/h la vitesse maximale des véhicules automobiles dans les localités), ni à l'art. 34 al. 1 LCR prévoyant l'obligation de circuler sur la moitié droite de la route, si elle est large. Comme il n'était pas en train de dépasser ni d'éviter un obstacle, les règles de la circulation routière ne lui permettaient en tout cas pas de rouler à gauche, contrairement à ce qu'il soutient. De ce point de vue, est sans pertinence la question de savoir s'il avait conservé son droit de priorité, face à l'automobile qui l'a heurté. Il est manifeste que le recourant n'ignorait pas les règles de la circulation ainsi transgressées, si bien qu'il a agi intentionnellement, ce qu'il ne conteste d'ailleurs pas.

2. Avec raison, la cour cantonale a considéré que l'art. 100 ch. 4 LCR était inapplicable ici. Le recourant n'était certainement
BGE 113 IV 4 S. 6
pas assimilable au conducteur d'un véhicule de la police malgré sa fonction d'accompagnateur officiel (voirATF 106 IV 2 consid. 1 et 2; BUSSY & RUSCONI, Code de la circulation routière, 2e éd., Lausanne 1984, n. 5.2a p. 482 ad art. 100 LCR). La cour cantonale ne constate pas que la motocyclette accidentée ait porté l'inscription "police" et le mémoire de recours ne mentionne nullement que le recourant aurait soutenu, devant la seconde instance cantonale déjà, qu'il s'agissait d'un véhicule de police; dans la mesure où son argumentation implique un tel fait, elle est irrecevable car il s'agit d'un moyen nouveau (ATF 107 II 224 consid. 3). L'art. 67 OSR prévoit uniquement l'obligation pour les usagers de se conformer aux signes et aux instructions données par les personnes dont la liste est précisée; or le recourant n'appartient manifestement à aucune des catégories énumérées, si bien que sa référence à cette disposition de l'OSR tombe à faux. De plus, cet article ne confère aucun privilège aux agents de la police.

3. En substance, le recourant fait valoir que sa mission d'accompagnateur officiel d'une course cycliste implique nécessairement l'inobservation de certaines règles de la circulation, sans quoi son rôle deviendrait impossible; ainsi, être accompagnateur autorisé constituerait un fait justificatif. L'autorité cantonale compétente en matière de circulation routière n'a pas prévu, dans son autorisation d'organiser la course, de dérogations aux règles de la circulation (au sens de l'art. 52 al. 4 LCR); elle a au contraire précisé que les véhicules accompagnants étaient tenus de se conformer aux règles de la circulation; le recourant ne peut donc se fonder sur la LCR pour se justifier. L'existence d'un devoir de fonction n'entre pas non plus en considération car le recourant n'est pas un agent de la police. L'exercice d'une profession déterminée ne suffit pas pour supprimer le caractère illicite d'un acte car celui qui l'exerce ne jouit pas pour autant de droits plus étendus que les autres citoyens; encore faut-il pour rendre l'acte licite que le devoir de profession invoqué découle d'une norme juridique écrite ou non écrite (A. HAEFLIGER, Rechtmässigkeit der durch Gesetz oder Berufspflicht gebotenen Tat, in RPS 80 (1964) p. 37; G. STRATENWERTH, Schweiz. Strafrecht allgemeiner Teil I, Bern 1982, p. 224 n. 110; P. NOLL/S. TRECHSEL, Schweizerisches Strafrecht allg. Teil I, 2e éd. Zurich 1986 p. 119). En l'espèce, qu'il en aille ainsi pour le devoir d'accompagnateur incombant au recourant n'est ni établi ni évident. Les conditions de la légitime défense et de l'état de nécessité font manifestement défaut faute
BGE 113 IV 4 S. 7
notamment d'attaque ou de danger imminent. Toutefois, d'après la jurisprudence, on peut admettre l'existence de faits justificatifs non prévus par la loi lorsque pour sauvegarder des intérêts légitimes l'auteur a usé de moyens nécessaires et adaptés au but visé, que l'acte (ordinairement illicite) constitue la seule voie possible et qu'il apparaisse manifestement moins important que les intérêts dont l'auteur a voulu assurer la sauvegarde (ATF 94 IV 70 consid. 2 et doctrine citée, 82 IV 18 consid. 3; H. SCHULTZ, in RJB 105 P. 388; O.A. GERMANN, Das Verbrechen im neuen Strafrecht, Zurich 1942, p. 214; H. SCHULTZ, Einführung in den allg. Teil des Strafrechts, vol. I, 4e éd. Berne 1982, p. 171/172; P. NOLL, Die Rechtfertigungsgründe im Gesetz und in der Rechtsprechung in RPS 80 (1964) p. 185).
En l'espèce, ces conditions sont réunies. D'une part, l'autorisation donnée par le Service vaudois des automobiles contient des conditions générales prévoyant que les véhicules accompagnants sont tenus de se conformer aux règles de la circulation; d'autre part, les organisateurs de la course, uniques responsables de son bon déroulement, étaient invités à prendre toutes les mesures de sécurité nécéssaires. Ce sont là deux injonctions inconciliables. La course cycliste sur route, telle que prévue et telle qu'elle s'est déroulée, nécessitait la présence de véhicules accompagnants pour assurer la sécurité des coureurs et des autres usagers; les accompagnateurs ne pouvaient remplir leur mission qu'en précédant les différents groupes de coureurs, à une certaine distance et en adoptant une vitesse au moins égale à la leur; ainsi, ils pouvaient être amenés, par les coureurs, à dépasser la vitesse maximale autorisée fixée à 50 km/h dans les localités, ce que firent d'ailleurs aussi les deux motocyclistes de la police escortant les concurrents; l'expérience générale de la vie montre que les coureurs cyclistes ont l'habitude, suivant les circonstances, d'occuper toute la largeur de la route; en conséquence la mission des accompagnateurs qui les précèdent impose à ceux-là de circuler au milieu de la chaussée, ou même un peu sur la partie gauche de celle-ci; en effet, ce comportement permet de faire comprendre rapidement et sans ambiguïté aux usagers circulant en sens inverse l'approche du danger inhérent aux coureurs. La sécurité de ceux-ci et celle des autres usagers de la route, qui constituait la seule cause de la façon de conduire du recourant (laquelle correspond d'ailleurs à celle des agents de police placés dans la même situation), apparaissent sans aucun doute comme prépondérantes face aux inobservations des règles de la circulation routière qui lui sont reprochées. Ce comportement, ordinairement illicite, est dès lors justifié, ce qui doit conduire à la libération du recourant, faute d'infraction (voir art. 32 CP). Il en irait de même si l'on examinait les faits sous l'angle du conflit de plusieurs devoirs (Pflichtenkollision), proche de l'état de nécessité et qui constitue aussi un fait justificatif (voir P. NOLL/S. TRECHSEL, op.cit., p. 120; en droit de la République fédérale d'Allemagne, SCHÖNKE/SCHRÖDER, Strafgesetzbuchkommentar, 22e éd. n. 70 f ad § 32 ss.; MAURACH, Strafrecht allg. Teil vol. 1 6e éd. n. 52 ad § 27; en droit français, voir R. MERLE/A. VITU, Traité de droit criminel, 2e éd. Paris 1973, p. 418 ss. n. 365; voir J. DARBELLAY, Théorie générale de l'illicéité, Fribourg 1955 p. 6).

L'arrêt cite l'art. 32 du Code Pénal. Dans le nouveau code pénal, il s'agit des articles 17 et 18 qui traîtent de l'état de nécessité.

Quote:

Art. 17

Etat de nécessité licite

Quiconque commet un acte punissable pour préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s’il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.

Quote:

Art. 18

Etat de nécessité excusable

1 Si l’auteur commet un acte punissable pour se préserver ou préserver autrui d’un danger imminent et impossible à détourner autrement menaçant la vie, l’intégrité corporelle, la liberté, l’honneur, le patrimoine ou d’autres biens essentiels, le juge atténue la peine si le sacrifice du bien menacé pouvait être raisonnablement exigé de lui.

2 L’auteur n’agit pas de manière coupable si le sacrifice du bien menacé ne pouvait être raisonnablement exigé de lui.

Cette info est importante, merci beaucoup...

Mais "Dès lors, le motard reste coupable des infractions LCR et responsable des dommages causés à l'automobiliste, mais n'est pas puni pénalement.", ça ce traduit par quoi? Tu paye les frais occasionné (ou ton assurance) et ça ça s'arrête là?

"Quand les mouettes suivent le chalutier, c'est qu'elles pensent que des sardines seront jetées à la mer." (Eric Cantona, mars 95)

"Spoony" wrote:

(...) Mais "Dès lors, le motard reste coupable des infractions LCR et responsable des dommages causés à l'automobiliste, mais n'est pas puni pénalement.", ça ce traduit par quoi? Tu paye les frais occasionné (ou ton assurance) et ça ça s'arrête là?

Je le comprend comme toi aussi Icon wink

Icon arrow Tu as tout les frais encouru à supporter... enfin ceux qui sont pour ta pomme quoi... par contre tu n'auras pas de retrait de permis....

Euh Icon rolleyes mais les amendes, c'est du pénal ou de l'administratif ???
Moi je vote pour administratif... donc... va aussi falloir payer les bûches s'il y en a....???!!! Icon neutral

les amendes LCR sont une sanction pénale. On peut même étendre ce caractère au retrait de permis prononcé par l'autorité administrative (les principes du droit pénal sont applicables). Le motard reste responsable sous l'angle de la RC. On avait évoqué cet arrêt dans les sujets débattant des sorties en groupe. Les résumés faits à l'époque ne sont pas remis en cause : il s'agissait d'une manifestation organisée et autorisée et d'un arrêt à mon avis un peu "limite"; impossible d'invoquer ces principes pour une virée avec un yo-yo.

"Duralex - Jeu 09-Aoû-2007 17:05 " wrote:

pour contribuer à faire avancer la discussion sur le volet juridique, et pas du tout pour polémiquer ou dire que cet exemple s'applique à telle ou telle autre situation récente ou non, j'attire votre attention sur un arrêt du Tribunal fédéral de 1987 qui concerne un motocycliste et qui est à mon avis intéressant pour ceux qui auront la patience de le lire et en rapport avec le sujet du post :

ATF 113 IV 4 Faits justificatifs non prévus par la loi (voir art. 32 CP) - Le comportement d'un motocycliste qui commet notamment un excès de vitesse pour assurer la sécurité des participants à une course cycliste, dont il est l'accompagnateur autorisé, n'est pas illicite dans la mesure où il est justifié par les impératifs de sa mission.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un cas bien particulier à manier avec précaution, encore plus lorsque l'on sait que l'art. 32 CP p. ex. a été profondément modifié dans la nouvelle partie générale du CP entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2007. Toutefois, l'insitution du "fait justificatif extralégal de la sauvegarde d’intérêts légitimes" ayant été créée par le TF, il y a toujours matière à discussion, ne serait-ce que comme circonstance personnelle atténuante.

"Duralex" wrote:
"lucky" wrote:

Pour le commentaire de Duralex, j'imagine donc que la course ou l'évênement pour lequel l'excès de vitesse n'est pas illicite doit faire l'objet d'une autorisation en bonne et due forme ?

Si tu relis l'arrêt, je crois que le fait justificatif n'est pas l'autorisation administrative de la course cycliste, mais bien plus généralement une pesée des intérêts : "d'après la jurisprudence, on peut admettre l'existence de faits justificatifs non prévus par la loi lorsque pour sauvegarder des intérêts légitimes l'auteur a usé de moyens nécessaires et adaptés au but visé, que l'acte (ordinairement illicite) constitue la seule voie possible et qu'il apparaisse manifestement moins important que les intérêts dont l'auteur a voulu assurer la sauvegarde (ATF 94 IV 70 consid. 2 et doctrine citée, 82 IV 18 consid. 3". Cela précisé, le fait que la course ait été autorisée et constitue un événement très particulier dans la circulation a sans doute été un élément non négligeable dans cette pesée subjective des intérêts. On peut lire plus loin : "La sécurité de ceux-ci (ndlr les cyclistes) et celle des autres usagers de la route, qui constituait la seule cause de la façon de conduire du recourant (laquelle correspond d'ailleurs à celle des agents de police placés dans la même situation), apparaissent sans aucun doute comme prépondérantes face aux inobservations des règles de la circulation routière qui lui sont reprochées. Ce comportement, ordinairement illicite, est dès lors justifié". Le problème, c'est qu'un état de nécessité aurait pu être nié dès lors qu'il suffit d'arrêter la course / la ballade pour que le risque cesse; l'intérêt de cet arrêt est justement qu'il admet le fait justificatif pour une course privée (même "autorisée") qui pouvait être arrêtée en tout temps par les organisateurs. Enfin, l'autorisation était assortie de conditions contradictoires, donc impossibles à remplir; l'organisateur a donc violé certaines des conditions de l'autorisation administrative (respect de la LCR), ce qui fait qu'elle ne déployait pas d'effet justificatif en elle-même, du moins à mon humble avis.

"Duralex" wrote:

les amendes LCR sont une sanction pénale.(...)

Bah j'ai appris un truc Icon biggrin Smiley  540

Merci pour ces explications Duralex Icon wink

Non, les amendes, c'est du pénal. Et pour les mesures administratives prononcées par le SAN, elles se basent généralement sur les conclusions des juges. Donc si t'es pas punissable aux yeux du Juge, normalement t'es pas puni par le SAN non plus. Reste alors à payer les dommages parce qu'on ne peut pas dire que c'est l'automobiliste, totalement innocent dans cette affaire, qui doit en prendre une partie à sa charge. Normal quoi...

En fait, l'autorité pénale et l'autorité administrative ne sont pas liées. Du coup, l'autorité administrative peut déroger aux conclusions du jugement pénales si elle est en possession d'éléments qui n'avaient pas été fournis au juge... Mais c'est assez rares, quoi que dans ma situation passée...