Vendredi 26 octobre
17:50. Je roule peinard. La semaine est finie, ou presque vu que je suis d’astreinte pour le week-end. Mais boaf, ça se limite à transporter le pager et le mobile du boulot, et à croiser les doigts en espérant qu’il n’y ait pas trop d’alertes.
Une Fiat punto grise lambine devant moi à 60-65, alors qu’on ose rouler à 80 sur ce tronçon. Etonnant pour un Tessinois, d’habitude les latins sont plus rapides. A tout hasard, je finis par lui balancer un appel de phare, sans effet. Avec mon gilet de sécurité jaune et mon casque modulable blanc, peut-être que c’est un mec qui a peur des flics…
On arrive enfin en ville. Limitation à 50 et passage à niveau du petit train Bienne-Täuffelen-Ins. Le feu est au rouge, on s’arrête. Le gars se cale tout à droite de sa piste, descend la fenêtre et me lance un truc que je ne comprend pas. J’ouvre mon modulable histoire de montrer ma frimousse de bipède humanoïde civilisé et me porte à sa hauteur. Il m’explique qu’il a déjà eu un avertissement (ou deux?), ça me fait plutôt marrer. Je ne suis plus qu’à 2 km à peine de la maison, c’est l’anniversaire de mon fils, et je sais qu’on aura un super repas pour ses 18 ans.
Le feu passe au vert. Normalement lorsque je suis dans cette situation, à côté d’une voiture dans une file –par exemple pour signaler à un automobiliste que ses feux de freinage sont défectueux-, je le laisse repartir en premier et reprend ma place. Là mon Tessinois pas pressé me fait signe d’y aller. OK, Saint-Cloud!
En pleine accélération en 1ère, je sens soudain une ombre noire sur ma droite. Trop tard. Le choc. Une demi-seconde plus tard, je suis parterre, sur le dos. De l’air!!! J’ai le souffle coupé. J’enlève un gant et ouvre ma veste, il me faut absolument remplir mes poumons. Après quelques secondes de panique, je respire enfin. Bon, ça ça va. Le reste? Un gars s’approche, me dit qu’il est médecin et tente de me faire les poches. Enfin non, il me tâte les hanches, recherche une éventuelle fracture du bassin.
La douleur arrive. Mon coude gauche d’abord, j’ai vraiment du taper fort. Puis mon genou –gauche toujours-, avec un angle bizarre et que je ne réussis pas à bouger. Bon, une fois de plus, y’a de la casse…
Mon toubib me demande si je désire prévenir quelqu’un. Bonne idée. Je lui explique comment prendre mon téléphone portable dans les débris du top-case et on appelle Régine. Il lui résume la situation (accidenté mais stable, on attend l’ambulance), et me la passe pour que je puisse la rassurer. Je lui confirme que je suis conscient. Je ne peux pas l’entendre avec le casque, mais je lui donnerai des nouvelles de l’hôpital dès que possible. En attendant, qu’ils se fassent un bel anniversaire en famille, moi j’aurai un peu de retard…
Et qu’elle prévienne un collègue que je ne suis plus en état d’assumer la surveillance du système…
Une ambulancière se penche sur moi et me fait des papouilles. Je suis toujours conscient, on cause des nombreux endroits où j’ai mal, ça nous occupe un moment… d’autres secouristes arrivent. Il faudrait enlever le casque pour poser une minerve, mais j’ai le crâne contre un poteau de signalisation, et ils doivent me déplacer d’abord. Ils en chient pour me glisser un petit mètre plus loin, finissent par enlever mon casque. La minerve? Le col de la veste est trop proéminent, ils doivent le découper. Puis c’est la dorsale intégrée à la veste qui gêne…
J’échoue sur une civière dans une ambulance, j’ai un peu froid. Les ambulanciers par contre n’ont pas fini de transpirer. Chaque fois qu’ils découpent 10 cm d’habit, veste ou pantalon, ils tombent sur la protection suivante.
Mon ambulancière préférée me demande si je peux sourire. Comme j’ai reçu un mail sur l’AVC (accident vasculaire cérébral) il y a peu, je percute aussitôt. «Je peux, lever les bras aussi et répéter la phrase de votre choix tant qu’il ne s’agit pas d’une demande en mariage!» Elle est un peu estomaquée, elle a peu de patients aussi bien informés. L’expérience, chérie! Un flic se pointe, je lui dis où se trouvent mes papiers et il me donne un éthylomètre en échange. Je sais que c’est son job, mais c’est vraiment chiant. Je n’ai rien à me reprocher, et de toute façon j’aurai droit à des prises de sang à l’hôpital… Avec cette petite douleur intercostale, je dois m’y reprendre à 2 fois… pfouuu!
On me monte aux urgences sans sirène ni gyrophare, c’est dire si mon état les inquiète. Les toubibs prennent le relais, les ambulanciers me félicitent une dernière fois pour la qualité des protections. Effectivement, cette fois je n’ai pas le moindre saignement externe, pas de dermabrasion. Mais le genou gauche…
Radiographies des poumons, de la jambe, discussions avec les toubibs, les flics, re-radiographie pour cause de situation complexe avec tout ce métal déjà dans ma jambe, finir la déclaration pour le rapport de police (ouais, le gars a forcé le cédez-le-passage avec son Audi S4…), téléphone de Régine qui se demande vers les 22:00 /22:30 si elle doit venir identifier le corps… formalités administratives avec une secrétaire pas vraiment fute-fute (on y reviendra…), et enfin un peu de tranquillité, en chambre à 23:00 environ.
Une aide-infirmière me demande d’emblée au vu de mon patronyme si je ne suis pas le papa de Colin(?) C’est la maman de la petite-amie de mon fils(!) Je lui réplique avec un gros clin d’oeil que s’il faut faire connaissance de sa belle famille sur son lieu de travail, je préfère commencer par elle que par son mari (qui est… gardien de prison! ).
J’ai des tubes partout, une attelle qui me bloque la jambe gauche, un goutte-à-goutte, de l’oxygène, me reste plus qu’à essayer de dormir…
Lundi 29 octobre.
Je viens de passer un week-end de merde. La réceptionniste des urgences ne m’a pas cru lorsque je lui affirmais que j’étais assuré au minimum en demi-privé pour les accidents et j’ai atterri en chambre commune. Les infirmières aussi peu nombreuses que débordées m’ont promis 4 fois de la glace et de la pommade, j’en ai à peine vu la couleur. Cuisse, pied droit, bras gauche, j’ai des hématomes partout, le genou gauche en bouillie, et ça fait 57 heures que je n’ai pas vu de médecin!
J’appelle le boulot, le service du personnel me donne le nom de l’assurance accident et me confirme que j’ai droit aux soins privés «plein pot». Téléphone à la réception, qui me branche sur le secrétariat des urgences. J’explique calmement, ça ne marche pas. Changement de tactique: je gueule, exige d’être enfin pris en compte et menace de demander mon transfert au CHUV dans l’heure si je ne suis pas enfin traité correctement. Ça fonctionne. Les médecins pointent leurs becs enfarinés, et m’envoient en salle… d’échographie!
T’inquiètes mon chéri, c’est pas toi qui m’a mis en cloque, mais un gros hématome sur la cuisse droite. Pas loin d’un déci de raisiné qu’ils videront mercredi matin lors de l’opération…
Ils me remontent en chambre. Ça a comme un air de déjà vu. Tu me diras que forcément, en chambre privée dans la section chirurgie de cet hôpital, devait y avoir une chance sur 2 ou 3. C’est la chambre de Laurent. Mon pote qui a crevé là de son crabe il y a 5 ans. Que je venais voir 2 fois par semaine au moins, pendant les 3 mois de sa longue agonie.
Le destin est toujours aussi farceur et j’en viens presque a sourire du clin d’œil. Je ne suis pas religieux pour un sou, mais un petit pèlerinage de temps-en-temps…
Et c’est l’occasion de discussions sympas avec quelques infirmières qui étaient déjà là il y a 5 ans et qui ne l’ont pas oublié…
Samedi 3 novembre
Le repas du soir s’annonçait somptueux: des capuns! Ça se prononce Kapoun’s, t’as qu’à chercher des recettes sur le ‘ternet, y’en a autant de différentes que de vallées aux Grisons. C’est très fin, à base de viande ou saucisse des Grisons finement roulée dans de la pate de spätzli, assaisonné d’oignons, de crème parfois. Le tout délicatement roulé dans des feuilles de côtes de bettes, voire laitue ou épinard selon la saison, et pour finir gratiné au four.
Là non. C’est de la graille industrielle, préchauffé, devenue informe et dégueulasse après trop d’heures en autocuiseur ou que sais-je. Ça me dégoute et mon moral qui n’en demandait pas tant en prend un rude coup.
Bon, y’a pas que ça: je suis exténué. Ça fait 8 jours que je dors à peine 3 heures par nuit. Je n’en peux plus. Comme avec les téléphones au secrétariat, tactique numéro 2: je gueule. «Arrêtez de me faire chier avec vos Temesta pour grand’mère de 95 ans et 45 kilos, chez moi les proportions sont inversées, alors foutez-moi une solide dose d’un truc fort, je veux DORMIR!!!»
Dimanche 4 novembre
Les motos rouges vont plus vite et les pilules roses font mieux dormir. Si, si, j’ai enfin dormi. De une heure du matin à 7:00 et j’ai remis ça de 11:30 à 14:30, au grand dam des infirmières qui voulaient me faire manger. Qui dort dine et enlevez moi cette merde…
Raymond et Djamel m’en rendu visite. Se retrouver dans la chambre de Laurent leur a fait tout drôle. Mais en fin-de-compte, d’en parler nous a fait du bien.
Régine repasse en fin d’après-midi. Elle s’allonge auprès de moi, me prend dans ses bras. Je craque. J’en ai marre. Je me laisse aller. J’ouvre les vannes, je chiale comme un môme, me vide.
Puis je m’excuse, lui dis que ça fait bien 3 ans que je ne me n’ai pas pleuré comme ça. Elle me regarde avec un grand sourire et m’annonce fièrement: «non: 5!» Les gonzesses sont incroyables…
Vendredi 9 novembre
Je suis à la maison, j’ai exactement 2 semaines de retard… Régine nous refait un repas comme il y a 15 jours, avec le même gâteau, on remet les compteurs à zéro.
Et maintenant? Ben j’ai 5-6 semaines d’arrêt de travail, la jambe quasi en permanence dans cette put… (maman-travaille-et-rentre-tard-le-soir) d’attelle, sauf quand j’ai la «machine» (Kinétech), 2-3 heures par jour… Interdiction de charger la papatte à plus de 15 kilos pendant ces 6 prochaines semaines, et reste à croiser les doigts en espérant que les ligaments croisés n’ont pas trop morflés, ça sera la surprise pour Noël…
La Pan est morte et bien morte, toute la boucle arrière et une bonne partie du cadre sont en morceaux. Mon écraseur n’a jamais téléphoné ni écrit pour prendre des nouvelles ou pour s’excuser. EDIT Carolyn
Il me reste que j’ai largement le temps de vous envoyer mes petites histoires sur le ’ternet, j’écris toujours aussi mal, mais vite puisque je viens de torcher cette tartine en quelques heures ce samedi 10 novembre… fallait bien vous mettre au courant…
Amitiés,
A+,
Le Jef-ça-s’annonce,chiant,-long-et-incertain…-la-vie-quoi,-la-vie-aussi…
Inscription: 27/01/2006
Localisation: Genève
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#1Ben Merde! Sacrée histoire....Vraiment désolé de ce qui t'arrive
...Heureusement que tu as le sens de l'humour, ça aide
(la faute d'orthographe est intentionnelle!)
Et puis ton CR est plaisant à lire même si tout ça n'a pas dû être sympa à vivre
T'as pu réfléchir et analyser ce qui c'était passé? Qu'est-ce qui a mal fonctionné?
Et donne l'adresse de cette auberge conne n'y mette pas les pieds
Courage en tout cas
et donne nous de tes nouvelles et rétablis-toi au plus vite! 
Inscription: 02/08/2006
Localisation: Corcelles NE
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#2Pas de bol, mais enfin tu as gardé ton humour et la volonté de reprendre la moto (enfin j'esperd). Remet toi vite, afin de reprendre la saison 2008 du bon pied.. heu non, du bon pneu; reviens-nous vite, donc a bientôt.
PS, je ne comprend pas d'ou ton tessinois a débarqué, après le passage non gardé, y-a-t-il une route ou un chemin qui débarque de la droite ?...
Jamais sans ma Shadow
Inscription: 27/04/2004
Localisation: Aigle
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#3Tcheu ce titre, ça donne pas envie de cliquer dessus, mais ça valait vraiment le coup finalement.
Ben merde... quesqu'il faut pas faire pour avoir une moto neuve...
Pis bon la Pan on s'en fout, c'était de toute façon moche, poussif et trop lourd, t'as bien fait finalement.
Ma femme et moi te souhaitons de tout coeur un prompt rétablissement

Inscription: 17/06/2007
Localisation: Proche du paradi
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#4Remet toi bien et merci de partager ces moments douloureux avec nous.Garde le moral et tien nous au courant de l'évolution ,bon rétablissement.
Laissons dire et faisons bien

Inscription: 03/11/2005
Localisation: Lausanne
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#5Quelle mésaventure... mais jolie facon de la raconter je trouve...
Allez courage a toi et bon rétablissement. Au printemps tu en riras sûrement et tu galoperas comme une petite gazelle.. 
Inscription: 31/05/2005
Localisation: Ailleurs
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#6Jolie histoire...pas de fiction malheureusement
Bon rétablissement!! (A la Pan bien sûr
)
En panne tu tomberas, kickeras tu essayeras, pousseras tu pleureras, à pied tu iras.
Inscription: 17/02/2007
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#7Joliment écrit....
Tu devrais montrer ta prose à un littéraire... Suis sûr qu'il y a quelque chose à faire avec ces récits de vie.
Suis sérieux.
Rétablis toi bien... juste pas trop vite pour te permettre encore quelques écrits comme ça....
***** S i - t u - e s - p r e s s é -, f a i s - u n - d é t o ur ******
Inscription: 27/02/2006
Localisation: Daillens
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#8Merci d'avoir écris ce pavé, ça arrive malheureusement, mais il vaut mieux éviter de l'oublier...
Je te souhaite un bon rétablissement!...
Ps: il vrai que n'importe qui aurait aussi pus être à la place du connard qui t'ais rentré dedans...
Inscription: 04/06/2007
Localisation: Cornaux
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#9J'ai trouvé ton récit sympa et émouvant...
Olive
Edité Carolyn.
Inscription: 16/03/2007
Localisation: Trélex
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#10ET ben
Tout mon courage pour ton retablissement
Born to be wild...
Inscription: 15/09/2006
Localisation: Gland
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#11bon courage et bon retablissement
Inscription: 26/05/2003
Localisation: Bursinel
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#12@ Jeff bon rétablissements
Inscription: 27/07/2007
Localisation: La Tour-de-Peilz
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#13Hello !
Hé bin, pour une lecture du dimanche matin, je dirai que c'est corsé ! lol
Je te souhaite bon rétablissement en espérant qu'il n'y aura pas de surprise à Noël.
Tiens nous au courant de la suite, puisque tu as le temps..
Bisous
Inscription: 24/08/2007
Localisation: Saubraz
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#14Bon rétablissement à toi Jeff....
Inscription: 27/08/2006
Localisation: Geneve
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#15bon retablissement, j'espere que tu n'auras pas de sequelles.
You know what ? I'm happy
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