La parenthèse à Fred - BROUGH-SUPERIOR

‘’ BROUGH-SUPERIOR, ça résonne comme une marque d’aspirateur, le plus rigolo est que ce nom composé étalait sa maturité de 1 à 12. Le numéro premier recevait sa confirmation par un label fracassant, celui de MARK, les suivantes continueraient de se compter en notes, reconnues par une foutue sonorité lorsque une gorge tenterait de les siffler : MATCHLESS……. ‘’

Un type soulevait les poussières d’Angleterre du début du 20e siècle sur des mécaniques de 1000 cm3 et ces engins n’avalaient rien d’autre que du chemin d’enfer. Ce mec pilotait la plus fabuleuse moto jamais conçue pour se donner l’éternité, le bonhomme s’appelait Thomas Edward Lawrence.
Il est déjà 23h00, je picole un Rioja et je me demande pourquoi ce gars qui avait parcouru le moyen orient, dévoré le danger, crevé sa peau de mil délices s’était épris d’une pétoire dont le moteur crachait autant d’huile que son compteur notait les kilomètres.
Je cogite, ma tête balance gentiment, la petite aiguille du mano frétille, les images arrivent, le verre se vide alors je le remplis à nouveau et je tourne autour du lac sur ma machine ; et tout compte fait je me rend compte que je ne fais pas de la moto pour me déplacer, pas plus pour découvrir de beaux paysages, ni pour prendre l’air, je fais de la moto parce que je traverse le temps, parce que je vis la procuration qu’elle initie comme une aventure discrète. Je suis un mec qui pourrait partir demain, Lauwrence dit ‘’ d’Arabie ‘’ lui, rentrait d’un long voyage en orient qu’il avait consacré aux tribus bédouines qui se détachaient en désordre de l’empire Ottoman, évidemment à la solde de l’Angleterre mais plus certainement à celle d’un amour aventureux de l’autre, inconditionnel, sot, bref un exalté emprisonné par sa soif de vivre, en anarchie avec son époque.

Avec ce maintenant, qui pèse d’ennui, je comprend ce que la brèle vient faire dans cette histoire de fin de soirée qui fleure bon la révolte des anges.
La moto est mon messie, celui qui conduit, qui montre le chemin, je sens que je tiens un lendemain qui va chanter : prendre la route en sens inverse, en Harley, et aller voir en orient si je peux faire aussi bien que l’autre, ce héros, et faire taire les armes. Le dernier verre avalé, enfin, la bouteille toute nue, je me décide à officialiser mon magnifique projet, je suis fin cuit, et par la magie de l’instantané numérique me voilà roitelet d’un Tourism Trophy qui cette année se déroule le long d’une longue trainée de poudre jusqu’à Damas.

Lundi matin ça fait déjà trois jours que mes affaires suisses sont en ordre, je suis passé à la banque récupérer du cash, je laisse tout le reste ici. Je n’oublie toutefois pas une emprunte digitale sur Facebook, parce que, entre nous soit dit, je trouve cool dans le texte de briser le genre de vie que j’avais prévu, mais la perspective de me taper 3500 km pour sauver le monde de la barbarie me barbouille l’esprit de doutes sévères, je n’en mène pas plus large qu’un tout petit dés à coudre.

L’idée de passer pour un couillon attardé l’emporte sur la peur de l’incertain, alors je teste en ligne la possibilité que d’autres en soient. Neuchâtel – Genève, 2 heures de route -c’est bordel long deux heures- j’ai mal au cul, le vent bouscule ma nuque, non que ce soit désagréable, mais je pige vite que le décompte des bornes va user mon fond de culotte.
Genève, rue du Mont Blanc, j’ai prévu une halte symbolique face à l’église anglicane et là, surprise…. Trois café racers entourés de leurs proprios, chargés comme des mules, attendent le levant. Un coup d’œil, un geste et les mecs kickent leurs fontes sans regard, nous sommes maintenant quatre.

Il nous faut bien 5 heures de ligne bitumée avant de nous saluer, pas besoin d’agiter l’évidence. Nous sommes en Italie, direction la Yougoslavie. A Trieste, deux jours plus tard, une bonne dizaine de mecs en montures disparates, sorties de sombres garages, nous croisent, nous cherchent et se lient. Et là, je sens le vent de la révolte nous pousser vers une singulière destinée. On se ressemble, on a 45-50 piges, on a tous de chouettes mécaniques, tous une place au chaud, mais tous, sommes passé à coté de nous, c’est bizarre de rouler ensemble, c’est un projet idiot, une trajectoire qui devrait nous faire croiser ceux qui fuient, mais nous on y va. Au bout de trois longues journées à chercher notre route, cinq zozos montés sur trois magnifiques commandos et deux vieux rigides S&S suédois nous télescopent à Istanbul près de sainte Sophie. A présent une tribu de types gonflés comme des Zeppelins décident de franchir le Bosphore et de fondre sur la Syrie comme des furieux. Avec nos motos nous allons leur montrer ce que nous avons au bout du coeur. Nous ressemblons à ce que nous sommes, des images de Moto Heroes, des gars travaillés par leur penchant bien huilé du soin juste, des mecs qui se lâchent dans le bon goût. Lawrence est mon passager, il se marre dans son 3/4 de cuir lourd, des climax sur le nez, un magnifique foulard sur le menton..

C’est surprenant une balle. La mienne, s’est intéressée à profiler un tourbillon de poussière près de la culasse de ma monture. Nous sommes sales mais si déterminés à ne pas souffrir de la honte, que moteur hurlant, nous franchissons la frontière Syrienne en ignorant les tirs des militaires….. Une petite vingtaine de magnifiques motos pilotée par la crème des rêveurs entre en guerre contre le mal fait à son prochain.
‘’En Guerre, c’est ça…….., mais putain ça ronronne bizarre entre les oreilles.. ‘’

Ma bouille git sur sa face droite, mon bureau humide accueille les restes d’une nuit qui laisse couler une livrée de pensées le long de mes lèvres.

Je suis là, tout seul, groggy, pas vraiment en orient, pas vraiment un héros et je me tance : toi mon gars, toi le pilote qui roule des épaules au coin de la rue sur ta taule, toi qui rêve ta vie mais répugne à ouvrir la durite, t’ irais leur montrer à ces fous qui nous sommes ? Chiche!

Et ce con de Lawrence qui s’est planté dans un chemin...
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